ESPELETTE ET LE CHOCOLAT
XVIII°et XIX° siècles
En ce mois de novembre 1762 le mécontentement des marchands épiciers et droguistes de Bayonne est à son comble. Cette agitation et ces discussions datent de la création le 4 décembre 1761 de la Corporation des Chocolatiers reconnue par le Maire et les échevins de la Ville et homologués l’année suivante par le parlement de Bordeaux. A l’avenir, seuls les onze membres de cette corporation composée en majorité de ressortissants espagnols, auront le monopole de la fabrication et de la vente de ce produit dont la consommation se répand dans les milieux populaires.
Les marchands de Bayonne avaient jusqu’alors l’habitude d’embaucher, même le dimanche, des tacherons Juifs du quartier Saint Esprit pour travailler dans leur arrière boutique ou en sous sol au grand scandale des bourgeois et des hommes d’Eglise.
Menés par Pierre Saubaigné leur syndic, les épiciers déclarent devant notaire que «Tout temps il n’y a jamais eu de Maîtrise de Chocolatiers dans cette Ville et que depuis quelques temps, des Espagnols (1) se sont mêlés de faire du chocolat et cela leur porte un tort considérable»
Les juifs du bourg de Saint Esprit se joignent à eux, car selon les statuts de la Corporation, il faut être de religion catholique et présenter son extrait de baptême pour être reçu Maître. «Ces particuliers presque tous étrangers les privent de gagner leur pain, bien qu’il soit permis par Sa Majesté à ceux de la Nation Portuguaise de faire toute sorte commerce».
Avec le concours de deux avocats réputés bordelais messieurs de Sèze et Dominique Garat (ce dernier natif d’Ustaritz), ils firent opposition devant le Parlement de Bordeaux qui annula les statuts en 1767.Les magistrats « éclairés » étaient hostiles au monopole des corporations contraire à la liberté du commerce, ils interdirent au maire et échevins d’établir à l’avenir de nouvelles corporation sans une autorisation par des lettres Patentes de Sa Majesté. La transcription de l’arrêt du parlement sur les registres de la ville de Bayonne fut ordonnée.
Ce fut un échec pour les chocolatiers bayonnais de tenter d’éliminer la concurrence.
Toutes ces querelles et rivalités de boutiquiers ne troublent point à Espelette, un habitant bien connu de la maison Ararenea, Etienne BERINDOAGUE, car il est le premier et l’unique faiseur de chocolat de la paroisse au XVIIIe siècle.
Le 15 novembre 1762 (2), Etienne BERINDOAGUE âgé de 21 ans, épouse dans l’église paroissiale, avec dispense du quatrième degré de consanguinité Jeanne Bérindoague, fille du tisserand de la maison Aguerria.
Après son mariage, il s’installe avec sa pierre à chocolat, son grilloir et ses sacs de fèves de cacao dans la maison Aguerria sur la place.
Son fils aîné Pierre né en 1771 sera à son tour chocolatier et signera fréquemment les actes d’état civil de la Mairie au début du XIX°siècle. Son fils cadet émigre à St Domingue rejoignant son oncle Martin Bérindoague, propriétaire de l’importante sucrerie « Simon » dans la paroisse des Cayes (3) et son oncle maternel Jean Noguez négociant, époux de Gratianne Berindoague.
La présence des Bérindoague à Espelette est fort ancienne. Domingo de Berindoague sieur de la maison Muskiorenea est présent le 28 mars 1621(4) lors de l’assemblée capitulaire réunie par son maire-abbé Martin de Lissalde. Dans le contrat de mayade du vin et d’afferme de la boucherie en 1684, sont cités Joannes de Berindoague sieur de Muskiorena, Pierre sieur de Challa ( Salla? ) Saubat maître tuilier.
La maison ancestrale Berindoaga est située sur les hauteurs d’Espelette au quartier Basseboure. Au dessus de la porte d’un modeste bâtiment annexe est incrusté un blason qui reste toujours un mystère.
Les BERINDOAGUE ont toujours exercé un métier ou une fonction : tuilier, chocolatier, sergent royal, capitaine des Fermes Royales, négociant à St Domingue, fondeur à la forge de Béon en Béarn, caissier à la Fonderie Royale de Baïgorry, voiturier, lieutenant des douanes etc..
Etienne Berindoague surnommé Estebé le chocolatier partait à cheval livrer son chocolat dans les fermes des paroisses voisines Souraïde, Itxassou. C’est au cours de l’une de ses tournées qu’il rencontra en 1773 à Itxassou la dame Catherine Etcheberrygaray à qui il proposa de faire l’échange de leur cheval, avec le paiement d’une somme de soixante dix huit livres. Le chocolatier l’avait assuré que son cheval était bon et exempt de défauts. Huit jours plus tard, elle fit constater par un notaire , que le cheval d’Estébé «est vicieux au point qu’il s’arrête devant chaque porte, qu’on a de la peine à lui faire passer outre, mais de plus il se cabre et s’élève sur les pieds de derrière au point qu’on ne peut s’en rendre maître qu’avec beaucoup de peine..»
Elle estime qu’il y a eu du dol et de la fraude, réclame le retour de son cheval et la restitution des 78 livres. Elle le menace d’un procès et de la saisie de son cheval !
Depuis octobre 1721, par lettres patentes signées du Roi, est établi à Espelette un marché tous les quinze jours et une foire annuelle de huit jours à partir du 15 juin.
Avec ses 1500 habitants répartis en 300 maisons, les marchands et les clients venus de Cambo, Itxassou, Souraïde, Aïnhoa, Urdax, le marché est très fréquenté et animé. Débarqués dans le port de Bayonne, les ballots de marchandises destinés à la ville de Pampelune, étaient acheminés sur la Nive jusqu’au port d’Ustaritz, et de là à dos de mulets transitaient vers Laressore, Espelette, le bureau des douanes d’Aïnhoa et Urdax.